Colloque international : L’émigration-immigration comme « fait social total » Retours sur les travaux et la pensée d’Abdelmalek SayadAppel à communications, EHESS

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Les 26, 27 et 28 septembre 2018

CESSP – IRIS – CRESPPA-CSU – Musée National de l’Histoire de l’immigration – Archives Nationales

Il y a vingt ans Abdelmalek Sayad nous quittait. Son œuvre, qui s’étend sur près de 40 années d’enquêtes et une centaine de publications, a très largement contribué au renouvellement des regards et des pratiques scientifiques sur le phénomène migratoire et sur un ensemble d’objets de première importance pour les sciences sociales.

La volonté d’Abdelmalek Sayad de ne jamais dissocier les logiques sociales produisant l’émigration des formes de recomposition des collectifs à l’œuvre dans toute immigration, mais surtout son attachement à décrire de part et d’autre de la Méditerranée les modalités et les contours d’une « double absence », ont rencontré un large écho dans le monde académique et plus largement dans le monde militant, associatif et intellectuel.

Novatrice, l’œuvre d’Abdelmalek Sayad l’est, en effet, à plusieurs égards. Sur le plan del’analyse des expériences migratoires tout d’abord, elle renferme une série de textes centraux pour les sciences sociales tant sur un plan théorique que méthodologique. Il en va ainsi pour le texte El Ghorba, dans lequel Abdelmalek Sayad rend compte des logiques sociales qui ont produit la migration algérienne vers la France métropolitaine dans le cadre colonial. Il y décrit, à travers le témoignage du jeune Mohand, la façon dont le déclin d’un modèle agricole « traditionnel » alimente les espérances dans un projet migratoire dont les pionniers taisent les réalités matérielles auprès des plus jeunes. Mais il en est également de ces multiples articles où Sayad analyse finement les récits biographiques de migrants et d’enfants de migrants. Sur le plan de l’analyse des rapports intimes entre immigration et État-nation, entre la condition

d’étranger et un appareil étatique qui rend tangible à travers une série de dispositifs de papiers ou policiers la césure entre étranger et national, l’œuvre de Sayad s’avère pionnière. Elle inaugure une réflexion profonde sur les liens entre l’immigration et la « pensée d’Etat » pour reprendre la notion esquissée par Pierre Bourdieu, l’immigration interrogeant « la limite de l’Etat-nation ».

Parce qu’elle appréhende l’émigration-immigration comme «fait social total», la production scientifique d’Abdelmalek Sayad, en apparence circonscrite à la sociologie de l’immigration et à celle de l’État, dépasse de loin ces deux objets. Reprenant à Allal, Buffard, Marié et Regazzola l’idée de la « fonction miroir » de l’immigration, Sayad fait de celle-ci un socle, plus qu’un point d’aboutissement, de la réflexion ; un socle qui lui permet de développer sa propre sociologie décentrée du récit national en y incorporant notamment la dimension coloniale des rapports de domination.

Le parcours du sociologue a, par ailleurs, produit un volumineux fonds d’archives, mêlant matériaux d’enquêtes, notes de travail préparatoires, et documents associés à son parcours personnel, son engagement éditorial ou sa participation à diverses commissions. Ce fonds précieux, collecté dès 2004 par l’association Génériques, avant son transfert au Musée national de l’histoire de l’immigration, auprès de la médiathèque qui porte désormais son nom, est depuis 2016 conservé et consultable aux Archives nationales1.

Pour toutes ces raisons, les travaux et les outils sociologiques d’Abdelmalek Sayad sont d’une vive actualité pour les praticien.nes des sciences sociales qui défendent l’interdisciplinarité. Si ce colloque est aussi un hommage, il ne le sera qu’en montrant comment les chercheur.es continuent de s’approprier et à mettre à l’épreuve de leurs terrains et de leurs propres recherches les acquis de ses travaux.

Si pour une part les contributions retenues pourront revenir sur la trajectoire scientifique de Sayad, le comité scientifique du colloque considérera avec tout autant d’attention les propositions de communication soumises par des doctorant.es ou docteur.es aux terrains de recherche ouvrant sur des aires décentrées des seuls terrains français et algérien.

Il serait préférable que celles-ci s’inscrivent dans l’un des cinq axes suivants, correspondant à un ensemble de textes de références produits par A. Sayad :

1 Voir inventaire en ligne, https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/IR/FRAN_IR_055005

 

Axe 1 : Sayad penseur du fait colonial

La trajectoire intellectuelle de Sayad ne peut se comprendre que si l’on intègre qu’il s’est confronté à la fois personnellement, politiquement et scientifiquement à la question de la colonisation. La situation coloniale est le fil tendu qui relie tout à la fois sa trajectoire familiale singulière, ses premiers engagements politiques et ses premiers travaux sur Le Déracinement et les paysans algériens. D’emblée, la sociologie d’Abdelmalek Sayad relie la question migratoire aux logiques de domination coloniale et aux effets sur le temps long de l’impérialisme. Elle explore aussi ce que les nationalismes issus des décolonisations ont de singulier dans leur expression et leur finalité. A travers ce premier axe, on entend valoriser les contributions qui mobiliseront les outils sociologiques forgés par Sayad pour penser la spécificité des dominations coloniales dans leurs différentes dimensions politiques et anthropologiques. Seront également prises en compte les propositions traitant de situations contemporaines empreintes de néo-colonialisme ou marquées par le legs de structures économiques et sociales coloniales (et ne se limitant pas à une seule référence littéraire au postcolonialisme).

 

Axe 2 : La condition immigrée (travail, précarité, santé, stigmatisation)

Abdelmalek Sayad est sans doute le sociologue qui a le plus longuement insisté sur la dimension concrète et pratique de l’expérience migratoire pour les travailleurs ouvriers algériens. Dans son texte « Immigré, OS à vie », il insiste plus particulièrement sur la façon dont les différentes composantes sociales de l’identité de ces travailleurs s’imbriquent jusqu’à forger un statut, une figure sociale indissociablement marquée par l’altérité et la position ouvrière. Sayad est aussi un des rares sociologues à s’être intéressé dès les années 1970 à la question du corps dans son double aspect : à la fois marqué par le travail et comme support de stigmatisation. Ses travaux consacrés au vieillissement et à la santé demeurent stimulants en ce qu’ils envisagent de front la question de la matérialité des situations migratoires. Ce deuxième axe est un appel à des propositions prolongeant ce programme de recherche.

 

Axe 3 : Transmission familiale, enfants illégitimes, école, question de la ou des langues

Tout un pan de l’œuvre de Sayad porte sur la dimension culturelle de l’expérience migratoire. Il s’attache à montrer le caractère dynamique de la mobilité sociale contenue dans le projet migratoire. L’attachement porté à explorer notamment la situation des enfants de l’immigration (à la fois « enfants illégitimes » et « enfants de la subversion » de l’ordre national pour reprendre les termes de ses enquêtés) permet à Sayad d’aborder la question du bilinguisme ou

de l’illettrisme autrement qu’en reprenant à bon compte les catégories des dispositifs publics. En ce sens, les travaux de Sayad peuvent aussi se lire comme une contribution importante à la sociologie de la transmission et de la socialisation familiales. Ce colloque entend laisser toute leur place aux travaux contemporains qui approfondiraient cette réflexion.

 

Axe 4 : Dimension religieuse / critique du culturalisme

Autre face d’une même médaille, Sayad a largement critiqué les approches culturalistes qui ont tendance à perdre de vue la dimension éminemment interactionnelle et générationnelle des migrations. Mettant à distance les théories simplistes de la distance ou de l’écart culturels, Sayad est un des rares sociologues de l’immigration à avoir combattu le culturalisme implicite des approches interculturelles. Il fut également un des rares à développer une réflexion sur l’islam en tant que religion immigrée et donc minoritaire. Alors que la question religieuse et culturelle semble redevenir un vrai enjeu pour les sciences sociales contemporaines, le colloque entend donner à entendre des travaux qui articulent une approche du fait migratoire dans ces aspects cultuels et culturels en mettant à profit l’approche interactionnelle et dynamique proposée par Sayad.

 

Axe 5 : Etats et immigration

Enfin, Sayad a rédigé de nombreux textes sur les liens entre immigration et pensée d’Etat. Il s’agit là d’un axe structurant de sa pensée. Sa réflexion sur l’arbitraire des frontières juridiques, sur la double peine ou l’opération de magie sociale qui s’opère dans les procédures de naturalisation ont nourri de nombreux travaux. Ce dernier axe entend rappeler que, pour Sayad, l’immigration est « une des meilleures clefs d’entrée qui soit pour mener une sociologie de l’Etat ». Les contributions revenant sur la dimension étatique et administrative des processus migratoires (dans les sociétés d’immigration mais aussi d’émigration) sont particulièrement les bienvenues. Toutes les enquêtes de terrain abordant la question de la criminalisation des migrants dans le contexte des nouvelles politiques migratoires européennes ont bien sûr aussi toute leur place ici.

 

 

Un regard favorable sera aussi porté sur les propositions de communication qui mobilisent les archives Sayad désormais consultables aux Archives nationales. Les propositions de communication de 5000 signes maximum doivent être envoyées avant le 10 mai 2018 à l’adresse colloquesayad@gmail.com. Les réponses seront communiquées début juin.

Comité scientifique

Michel Agier (Directeur d'études à l'EHESS - IIAAC) - Marianne Amar (Département de la recherche du Musée National de l'Histoire de l'immigration) - Stéphane Baciocchi (IR EHESS – CRH LaDéHis) - Stéphane Beaud (PU Université de Poitiers – GRESCO) - Abdel-Halim Berretima, (MCF HDR à l’Université A-M Béjaïa - IRIS) – Emmanuel Blanchard (MCF UVSQ – CESDIP) - Kamel Chachoua (CR CNRS - IREMAM - chercheur associé au CNRPAH à Alger) - Altaïr Despres (postdoctorante Marie Skłodowska- Curie - CNRS-IMAF/University of Chicago) - Afranio Garcia (MCF à l'EHESS - CESSP) - Emmanuelle Giry (Conservatrice du patrimoine – Archives nationales) - Nancy Green (Directrice d'études à l'EHESS - CRH) - Abdellali Hajjat (MCF Université Paris Nanterre – ISP) - Choukri Hmed (MCF Université Paris Dauphine - IRISSO) - Solenne Jouanneau (MCF IEP Strasbourg – SAGE) - Sylvain Laurens (MCF EHESS – CESSP) - Chowra Makaremi (CR CNRS – IRIS) - Catherine Mérot (Archives Nationales - responsable du département Education, Culture, Affaires sociales) - Francine Muel Dreyfus (Directrice d’études à l’EHESS – CESSP) - Gérard Noiriel (Directeur d’études à l’EHESS – IRIS) - Salvatore Palidda (Professeur Université de Gênes) - Amin Pérez (IAS Princeton, IRIS) - Michel Pialoux (Chercheur associé au CESSP) - Laure Pitti (MCF Université Paris 8 – CRESPPA) - Yann Potin (CED Archives nationales – MCF associé Université Paris13/CERAL) - Monique de Saint Martin (Directrice d’études à l’EHESS – IRIS) - Alexis Spire (Directeur de recherche CNRS - IRIS) - Tassadit Yacine (Directrice d’études à l’EHESS – LAS) - Claire Zalc (Directrice d’études à l’EHESS - IHMC)

 

Informations pratiques

Le colloque aura lieu à l’EHESS, 105 bd Raspail, amphithéâtre Furet & à l’auditorium des Archives Nationales (Pierrefitte-sur-Seine, métro Saint-Denis Université)