Mai 68 vu des Suds Rencontres publiques et débats, Paris

Mai 68, une vision mondiale vue des Suds : une série de rencontres et de débats publics pour comprendre les héritages politiques actuels des mobilisations mondiales émancipatrices des années 1965-1973.

À l’initiative de Jacques Sauvageot – hélas brutalement décédé alors qu’il la préparait –, le Réseau Sortir du colonialisme, le Cedetim et l’Institut Tribune socialiste (ITS) ont choisi d’évoquer Mai 68 à partir des Suds, par une série de rencontres publiques et de débats. Ils le font à l’occasion de la treizième Semaine anticoloniale et antiraciste, organisée en mars 2018. Six fondations et associations (Fondation IPAM, ITS, Fondation Gabriel PériFondation de l’écologie politiqueFondation CopernicEspace Marx) ainsi qu’un centre de recherche (le Centre d’histoire sociale du xxe siècle) soutiennent cette initiative, également soutenue et promue par Mediapart. L’objectif, explicité dans la note ci-après, est de mettre en lumière le « mouvement mondial de Mai 68 vu des Suds » au cours de la période 1965-1973, afin de comprendre comment ses ressorts profonds, trop oubliés, font encore sens et trace aujourd’hui.

Mai 68 en France a été l’épicentre d’une période révolutionnaire largement mondiale. Comme l’a dit avec ses mots Daniel Bensaïd :

« Mai 68 n’est pas une affaire nationale, strictement franco-française. C’est un événement global, un moment de convergence des résistances et des révoltes. On en parlerait bien différemment s’il ne faisait pas écho, non seulement aux usines occupées hérissées de drapeaux rouges, mais aussi à l’offensive du Têt de février 1968 au Vietnam, au printemps de Prague, à l’agitation des étudiants polonais, à la révolte de la jeunesse pakistanaise, au mouvement antiguerre aux États-Unis, aux dernières braises de la révolution culturelle en Chine, au massacre de Tlatelolco et aux poings levés gantés de noir sur le podium olympique. 1968 est donc la date symbolique d’un instant propice où l’édifice despotique du stalinisme révélait ses lézardes, où les luttes antibureaucratiques à l’Est, les révolutions coloniales en Algérie, en Indochine, en Palestine, dans les colonies portugaises semblaient pouvoir se lier aux mobilisations ouvrières en France et en Italie. »

Ce Mai 68 « élargi » s’est déroulé de 1965 à 1973 sur tous les continents, avec une intensité variable. D’abord, un mouvement social et sociétal d’une exceptionnelle ampleur. Ce mouvement combine une internationale étudiante intempestive qui sert de détonateur, en fonction des situations, aux luttes sociales et politiques et un mouvement ouvrier, qui occupe toujours une place stratégique, et qui dans sa jonction avec les luttes étudiantes va donner son sens aux événements. Ensuite, un renouvellement de la pensée du monde et de ses représentations. Ce renouvellement entremêle de nouveaux et puissants courants d’idées ; il donne naissance à un intense bouillonnement artistique et culturel. Ces évolutions infléchissent la recomposition géopolitique du monde qui accompagne la fin de la détente. Elle s’organise autour des soubresauts de la décolonisation, de la crise de l’empire soviétique et de la construction du nouveau bloc dominant composé des États-Unis, de l’Europe et du Japon.

Mai 68 s’est nourri de la décolonisation et en a accompagné la crise. En 1968, la décolonisation n’est pas achevée. Les luttes liées à la guerre d’Algérie et à celle du Vietnam ont rythmé le mouvement. Il faut aussi rappeler l’interminable libération de la Palestine toujours inachevée ; la période est marquée par la guerre de 1967, Septembre noir jordanien en 1970, l’attentat de Munich en 1972 et la guerre de 1973. En 1975, les indépendances en Angola, Mozambique, et Guinée-Bissau sont intimement liées à l’avènement de la démocratie au Portugal. Et il faudra attendre 1993 pour voir la fin de l’apartheid et la libération de l’Afrique du Sud. La crise de la décolonisation commence alors que celle-ci est encore en cours. En 1961, le mouvement des non-alignés se réunit à Belgrade. En janvier 1966, la réunion de la Tricontinentale à la Havane, qui sera suivie de la mort de Che Guevara en Bolivie en octobre 1967, donnera une référence à la radicalité des mouvements. De 1968 à 1972, les mouvements étudiants dénoncent la nature des États du tiers monde, tout juste sortis du système colonial : leur incapacité à remettre en cause le système international, leurs violations des droits individuels, leur négation de la démocratie. Les crises pétrolières de 1973 et 1977 semblent toutefois montrer la montée en puissance du tiers monde et des non alignés. En fait, l’offensive du nouveau G7 va inverser la tendance. La gestion de la crise de la dette est utilisée comme une manière de mettre au pas politiquement les pays du Sud. Le modèle de développement imposé repose sur l’ajustement structurel de chaque société.

Mai 68 a donné lieu à de multiples interprétations marquées par de vives controverses, traversant tous les courants intellectuels et politiques. Nous avons choisi de nous en tenir à une lecture décentrée, privilégiant le Mai 68 vu des Suds, vu des ex-colonies ou des colonies maintenues françaises. Dans ces espaces qu’à l’époque l’on nommait tiers monde se sont déroulés bon nombre de mouvements portés par la jeunesse en rébellion contre l’ordre social. Au Sénégal, en Egypte, au Maroc, au Mexique, dans les ghettos noirs américains ou en Palestine, le souffle de Mai 68 retentissait certes différemment qu’à Paris ou à Nantes, mais les générations qui le portaient allaient en être marquées aussi intensément. Un nouveau monde a surgi de ces « années de braise » : révolutions féministes, écologiques et numériques, affirmation du droit des peuples pour leur autodétermination et contre la corruption, phénomènes migratoires… Mais là aussi les interprétations divergent, notamment à gauche : Mai 68 est-il le point de départ d’une contre-révolution annonçant l’ère de l’individualisme et de la dictature du marché, ou se place-t-il dans la continuité de l’histoire de l’émancipation ? Que reste-t-il sur le plan international de cette époque : le « campisme », cette division du monde en camps opposés (impérialisme vs socialisme réel) ou l’ébauche d’une voie multipolaire et décoloniale ?

 

Programme 

Cette initiative débute par une séance inaugurale en Sorbonne, suivie de cinq débats publics au Maltais rouge (40 rue de Malte, 75011) pendant deux semaines, permettant d’approfondir les situations par régions du monde, et d’une séance de clôture le 14 avril au CICP (21 rue Voltaire, 75011).

 

  • Séance inaugurale: 2 mars 2018 à la Sorbonne, 14h30 
  • atelier du 23 mars: monde arabe (coordinateur François Gèze) 
  • atelier du 29 mars: Amérique latine (coordinatrice Jeannette Habel) 
  • atelier du 30 mars: les territoires toujours colonisés par la France (coordinatrice Michelle Zancarini-Fournel) 
  • Séance de clôture: 14 avril au CICP, 14h30

 

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